Propriété intellectuelle mutante

Le 24 octobre 2011

Restées dans l'ombre, les négociations de l'Acta couvrant tous les domaines de la propriété intellectuelle de la santé à la culture, arrivent dans leur dernière ligne droite. Un chemin semé de lobbyistes, d’embûches institutionnelles et politiques...

Cela fait quelques années que l’ombre du traité Anti-conterfeinting trade agreement (plus connu sous le nom d’Acta) plane sur la réglementation internationale de la propriété intellectuelle. Touchant tant la santé que la culture, et menaçant au passage certaines libertés publiques, les négociations entourant ce texte ont longtemps été frappées du sceau du secret. A l’heure où certains pays ont signé l’accord, retour sur une chronologie mouvementée.

L’Acta ruse

Comme le montre notre chronologie, cela fait quelques années que les négociations ont discrètement été entamées. Sous l’égide d’un certain nombre de lobbyistes. Les télégrammes diplomatiques révélés par WikiLeaks et analysés par la Quadrature du Net, prouvent que le concept même de l’Acta a été pour la première fois évoqué par Stan McCoy, le négociateur en chef chargé de l’application des mesures liées à la propriété intellectuelle1. Depuis, c’est Kira Alavarez qui négocie l’Acta pour le compte des États-Unis. Sa biographie sur le site de réseautage professionnel Linkedin est édifiante : lobbyiste pour Time Warner, elle a fait ses armes dans l’industrie pharmaceutique. Un profil idéal pour porter la voix des ayants droit.

Au début du processus de négociation, certains documents préparatoires auxquels le Parlement européen n’avait pas eu accès ont atterris entre les mains du lobbyiste Steven Metalitz. Ce juriste suivait le dossier pour l’International Intellectual Property Alliance (IIPA) et travaillait à Washington pour le compte de quelques importants acteurs de l’industrie du divertissement: laMotion Picture Association of America (MPAA), la Business Software Alliance (BSA) ou encore la Recording Industry Association of America (RIAA).

Côté français, la transparence concernant les négociateurs n’est pas de mise. Le ministère de l’Economie et des Finances semble être à la manÅ“uvre, par le biais de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique (DGTPE), comme le révélaient nos confrères de Numerama en février 2010.

Comme nous l’expliquait la semaine dernière Marietje Schaake:

[Le traité] a été négocié en secret avec les principaux acteurs du monde industriel mis autour de la table. Les parlements ont été largement contournés, ainsi que le processus démocratique.

Ce n’est aujourd’hui plus le cas, les parlementaires européens et associations ayant réussi à rendre les négociations publiques. L’occasion pour le Parlement de faire valoir ses droits dans le jeu institutionnel européen qui l’oppose à la Commission et au Conseil de l’Union européenne.

Au cœur de la machinerie européenne

Certains parlementaires comptent bien faire d’Acta l’un des combats de leur mandature. A l’instar de la députée Sandrine Bélierqui faisait récemment référence à plusieurs études mettant en relief les contradictions du traité à l’égard de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou de la Charte européenne des droits fondamentaux (CEDF).

La qualification de l’accord commercial en “accord mixte” exige le vote du Parlement européen pour être ratifié. Un membre de l’équipe du Conseil européen tente de nous éclairer. Si la Commission européenne a le droit d’initiative, c’est au Conseil européen qu’il revient de prendre la décision de signer l’accord. Et, depuis la ratification du traité de Lisbonne, le Parlement Européen doit également donner son consentement, avant un retour devant le Conseil pour enfin le conclure. De plus, il est nécessaire que chacun des parlements nationaux donne son accord.

Aux États-Unis, on ne s’embarrasse pas : l’accord est considéré comme un “Sole executive agreement“, qui ne nécessite pas la validation du Parlement. La procédure est ainsi simplifiée, ce qui permet de faire passer plus facilement l’un des points d’achoppement de l’Acta : la mise en place de mesures répressives, notamment en s’appuyant sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), encouragés à collaborer avec les sociétés de gestion de droits de propriété intellectuelle. Une version augmentée de la Hadopi, avec filtrage et censure à la clef.

Le Parlement européen et les Parlements nationaux ont jusqu’au 1er mai 2013 pour s’opposer à la signature de l’Acta. Un seul non suffirait à arrêter tout le processus de ratification.

L’année 2012 s’annonce chargée pour les lobbyistes.


Merci à Nicolas Patte et Julien Goetz (aka Paule d’Atha) ainsi qu’à Romain Renier pour leur aide dans la réalisation de la timeline.



Image de Une par Geoffrey Dorne

Crédits photos CC FlickR par Lucas Braga

  1. US chief negotiator for IPR enforcement, dans la langue []

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