Les lobbies au sommet de la Terre

Le 31 mai 2012

Il n'y a pas que l'ONU qui prépare les 20 ans du sommet de la Terre de Rio. Les plus grands lobbies industriels se mobilisent à cette occasion, par l'entremise des programmes validés par la communauté internationale. Ils cherchent à obtenir la création d'une agence internationale qu'ils pourraient contrôler. Pour la Terre.

Du 20 au 22 juin, le Sommet de la Terre de Rio, mettant en avant la question de la croissance verte à l’occasion de ses vingt ans, s’annonce en réalité comme l’un des plus grands rassemblements de lobbies industriels que la planète ait connu. Mis en place dès la conférence de 1992, les groupes de pression et organismes représentatifs des intérêts économiques mondiaux noyautent et encadrent les rencontres officielles de leurs propres événements, afin de coordonner leur montée en puissance au sein des instances de l’ONU.

Initiative

Les portes sont plus grandes ouvertes que jamais aux intérêts économiques : déjà présents dans la définition onusienne de la “société civile”, le commerce et l’industrie ont depuis 2000 leur programme de coordination nommé Global Compact aux objectifs plus que consensuels :

La stratégie de l’ONU Global compact est une initiative stratégique pour les acteurs économiques engagés à s’aligner dans leurs activités et stratégies avec dix principes acceptés universellement dans les domaines des droits de l’Homme, du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption.

À la tête de la branche française de cet organisme, Gérard Mestrallet en personne, PDG de GDF Suez, dont la filiale “eau et services aux collectivités”, Suez Environnement, a collaboré au “draft zéro”, document de travail préparatoire de la réunion. En marge du sommet lui-même et des nombreuses conférences où sont accueillies les entreprises, Global Compact est partenaire de l’initiative Business Action for Sustainable Developpment (BASD), mise en place depuis les années 1990. Derrière ce nom, deux des plus grands lobbies mondiaux : la Chambre de commerce internationale et le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (ou WBCSD).

Grise

Au côté de ces deux groupes de pression non sectoriels, une kyrielle de groupements d’intérêts parmi les plus polluants apparaît : la réunion des cimentiers, l’ICMM (mines et métaux), l’ICCA (produits chimiques), l’IPIECA (regroupant les groupes du secteur pétrolier), le Air Transport Action Group et l’impayable International Aluminium Institute, qui se vante de regrouper avec ses membres 80% de la production mondiale d’aluminium, une des industries les plus consommatrices en énergie. Coordinateur pour la Chambre de commerce internationale, Carlos Busquets a fait part à Owni de l’objet de cette réunion :

Il s’agit d’abord des industries qui ont fait le plus de progrès sur le plan environnemental ces dernières années : il n’y a pas d’entreprise complètement verte ou complètement grise. Nous avons pour objectif de mettre nos ressources en commun pour porter la voix des entreprises en matière de développement durable.

À côté d’évènements ouvertement promotionnels, comme l’atelier “Innovation verte dans le secteur de la mobilité” organisé par BMW, le BASD organise le Corporate Sustainability Forum, événement visant à partager les “bonnes pratiques” entre entreprises, comme ce fut le cas à Johannesburg en 2002 (Rio +10). Sur les bancs français, on pourra ainsi compter les PDG de trois grands noms du Cac40 : Total, Schneider Electric et, bien entendu, GDF Suez. À l’issue de ces ateliers de travail, une journée spéciale la veille de l’ouverture officielle du sommet, le “Business Day”, déploiera le message officiel du BASD pour la conférence :

1. Les entreprises sont des acteurs clefs du développement durable et détiennent les solutions (même si elles s’opposent “aux subventions qui distordent la concurrence”, sic !)

2. Elles militent pour un cadre institutionnel plus intégré et une plus forte gouvernance. En français : elles souhaitent remplacer le trop étatique Programme de Nations Unies pour l’Environnement par une Organisation mondiale de l’environnement, plus proche de leurs intérêts.

Délicate

L’idée d’une Organisation mondiale de l’environnement fait son chemin parmi les institutions mais suivant des itinéraires très variés. D’un côté, les ONG y voient la possibilité d’une “Cour de justice pour l’environnement”, qui jouerait le gendarme dans les grands conflits opposants populations locales et groupes internationaux ou gouvernements sur les questions écologiques et sanctionnerait en fonction. A l’extrême opposé, les entreprises lorgnent sur le “modèle” du Conseil mondial de l’eau : un organisme consultatif, sans grande capacité répressive, à la tête duquel serait placé un représentant des entreprises (le Conseil mondial de l’eau est actuellement dirigé par Loïc Fauchon, patron de la Société des eaux de Marseille, filiale de Veolia). Une participante aux discussions de l’Agenda 21, préparatoires au sommet de Rio, constate la posture délicate des organisations non-gouvernementales dans l’affaire :

Les organisations écologistes ont poussé à la création d’une agence onusienne de l’environnement sauf que, au final, les entreprises y ont ajouté la question des intérêts économiques et sociaux. Résultat, on se retrouve avec un projet qui ressemble moins à une Organisation mondiale de l’environnement qu’à une Organisation mondiale du développement durable, où les questions environnementales perdent du terrain. Un peu comme quand avaient été demandées des commissions “environnement” au Parlement français et qu’on s’est retrouvé avec des commissions “développement durable” : c’est le même piège qu’au Grenelle !

Ironie du sort, de nombreux acteurs institutionnels ne pourront être présents pour des raisons bêtement économiques : non encadrés, les prix des chambres ont atteint des sommets ridiculement élevés, jusqu’à plus de 500 euros la nuit pour des logements de standing moyen dans la métropole brésilienne. Avant une première injonction de l’Etat carioca, c’était par lot de 3 ou 11 jours uniquement qu’étaient vendus les séjours sur place, sans possibilité de négocier les prix exorbitants demandés alors. Le Parlement européen risque ainsi d’être sous représenté dans la délégation continentale, selon un proche du groupe écologiste :

Le gouvernement brésilien n’a pas du tout régulé le prix des chambres d’hôtel sur place. Même s’ils sont loin d’être économiquement à plaindre, beaucoup d’eurodéputés ont du renoncer à se rendre aux conférences, ce qui va laisser plus de places aux entreprises, qui seules peuvent se permettre ce type de budget.

À New York, depuis le 27 mai, le dernier round de négociations se mène sous les yeux attentifs des lobbies réunis et achoppe régulièrement sur la question de la création d’une agence, laquelle ne sera voté qu’en dernier lors de la réunion de Rio. Et, au rythme où vont les négociations, nombreux sont ceux qui se demandent si le sommet de Rio fêtera un jour son trentième anniversaire.


Photomontage par Daniella Hartmann [CC-byncsa]

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