Et si les écoles de journalisme se mettaient au triolisme?

Le 5 mars 2011

Rien de sexuel dans la suggestion d'Erwann Gaucher, juste de bons conseils professionnels : journalistes, développeurs et graphistes devraient être formés ensemble pour produire une information adaptée à l'évolution des médias.

Le problème des écoles de journalisme, c’est qu’on y trouve que des journalistes…

Le reproche fait aux vénérables maisons qui enseignent le journalisme n’est pas forcément nouveau, mais il est aujourd’hui de plus en plus significatif. S’il a toujours été un peu gênant de former des journalistes « en vase clos », c’est-à-dire assez éloignés de la réalité des nombreux autres métiers qui “faisaient” les journaux, ce défaut structurel pose aujourd’hui un véritable problème. Au moment où un nouveau type de journalisme émerge, peut-on continuer à former des journalistes solo ou, au mieux, des journalistes habitués à travailler entre journalistes ?

Les nouveaux médias inventent, au fil des mois, de nouvelles pratiques journalistiques, de nouveaux formats éditoriaux, dont l’une des principales spécificités réside dans la collaboration étroite entre journalistes, graphistes, développeurs, techniciens spécialisés dans l’exploitation des données… C’est l’une des révolutions des pure players au sein de la profession. De Rue89 à OWNI, ce dernier étant sans doute le laboratoire le plus avancé en la matière, le journalisme ne se pratique plus seulement entre journalistes. Les autres « corps de métier » sont totalement associés à la réalisation des sujets et ne sont plus cantonnés à la seule mise en forme du travail journalistique. Pourtant, où sont-ils dans les écoles de journalisme ces autres métiers ? Bien entendu, à l’ESJ, au CFPJ et dans la plupart des écoles reconnues, d’excellents intervenants viennent régulièrement prodiguer des cours de graphisme ou viennent expliquer le travail de développeur. Mais ce sont au mieux quelques poignées d’heures d’enseignement noyées dans l’océan des cours.

Et je suis le premier à avoir appliqué ce schéma qu’il faudrait sans doute aujourd’hui bousculer sérieusement. Pendant les deux années où j’ai eu la chance de diriger la filière PHR de l’ESJ Lille, j’ai moi aussi programmé dix heures d’apprentissage d’X-press par-ci, dix heures de photo par-là, demandé à des graphistes de venir expliquer les grands principes de leur métier aux apprentis-journalistes dont j’avais la charge… Mais je me rends bien compte aujourd’hui que c’est nettement insuffisant ! Dans les années à venir, le journalisme sera de plus en plus le fruit d’une étroite collaboration entre plusieurs compétences. Pourquoi ne pas former ses compétences ensemble ?

En finir avec l’individualisme

Les écoles auraient tout intérêt à essayer de mettre sur pied de nouvelles formations, réunissant tout au long de l’année journalistes, graphistes et techniciens par exemple. C’est en partie l’expérience, très intéressante, menée sur le terrain par l‘Emi-Cfd et à découvrir en détail dans le billet du camarade Marc Mentré sur « le journalisme de couple ».

Ayant sans doute un fond encore plus vicieux, je pense qu’il faut aller encore plus loin et j’attends avec impatience l’école de journalisme qui ira encore plus loin et se mettre au véritable triolisme : un journaliste, un graphiste et un développeur (par exemple), ne travaillant pas ensemble simplement le temps d’un atelier, d’une session intensive ou de quelques cours, mais étant vraiment formés ensemble.

Un apprentissage quasi-commun et mené en parallèle pourrait également apporter une réponse au syndrome du journalisme-Shiva dont beaucoup se plaignent. Les outils à la disposition des journalistes sont de plus en plus nombreux et de plus en plus simples à appréhender, mais les journées ne font toujours que 24 heures. En accentuant encore le travail d’équipe, le “journalisme de couple” voire de trio, le journaliste aura moins besoin de jouer à Shiva. Mais il devra apprendre à travailler en étroite collaboration, ce qui est loin d’être inscrit dans nos ADN professionnels, souvent marqués par un certain individualisme. N’attendons pas d’être au pied du web-docu pour apprendre à travailler ensemble !

Les écoles de journalisme, fascinée par l’académisme, n’ont eu de cesse depuis quinze ans d’essayer de se rapprocher au maximum de l’université (pour que leurs diplômes obtiennent les meilleures équivalence universitaires) ou de Sciences-Po (puisque de toute façon une part important de leurs étudiants y passent, autant travailler le plus tôt possible main dans la main). C’était sans doute une bonne chose, mais il est temps maintenant, de se rapprocher d’autres écoles, d’autres types de filière. Celles où l’on forme les autres professionnels avec qui les journalistes de demain vont travailler dans une collaboration de plus en plus étroite.

Bien sûr, de tels rapprochements sont longs à mettre en place. Il ne suffit pas d’enfermer des apprentis-journalistes avec des étudiants en graphisme et en développement web pour que, par magie, un journalisme nouveau en ressorte. La formule chimique est plus complexe et nécessite que les équipes pédagogiques travaillent elles aussi étroitement en commun pour imaginer un nouveau projet pédagogique et une nouvelle méthode d’enseignement. Mais parce que la demande sera de plus en plus forte dans les années à venir, il est temps de s’y mettre et de tenter l’expérience.

Il y a quelques semaines, je signais un billet au titre volontairement provocateur « En 2011, faudra-t-il tuer les informaticiens de votre journal ? » et je concluais : « Pire, il faudra apprendre à travailler avec. » Faisons-le dès l’école !

Billet initialement publié sur Cross Media Consulting

Image CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Tyello ; ludwig van standard lamp.



Laisser un commentaire

Derniers articles publiés